Le Mois du patrimoine asiatique : comment une petite entreprise est née grâce aux valeurs immigrantes

Pour commémorer le Mois du patrimoine asiatique, Nancy, de Freon Collective, pense à tout ce que ses parents ont accompli et aux valeurs qu’ils lui ont inculquées et qui l’ont inspirée lorsqu’elle a fondé sa propre entreprise.

Le Mois du patrimoine asiatique est l’occasion d’apprendre et de souligner les réalisations et les contributions des Canadiens d’ascendance asiatique qui ont fait du Canada le pays que nous connaissons et que nous aimons.

En tant que fille d’immigrants vietnamiens et propriétaire d’une petite entreprise, je commémore ce mois en racontant l’histoire personnelle de mon enfance avec mes parents, des expériences qui ont fait de moi la personne que je suis aujourd’hui et de la création de mon entreprise, Freon Collective.

Freon Collective est une marque lifestyle écologique et produisant peu de déchets, que j’ai fondée au début de l’année 2019. Au départ, ce ne devait être qu’un simple passe-temps (vous apprendrez que j’ai de trop nombreux passe-temps). J’envisageais donc Freon Collective comme un passe-temps, mais mes parents m’ont élevée en me rappelant constamment l’importance de travailler fort. C’est en gardant cette idée à l’esprit que j’en ai fait la marque de renommée internationale qu’elle est devenue aujourd’hui.

À 18 ans, au lendemain de la guerre du Vietnam, ma mère a quitté sa famille, son pays et tout ce qu’elle avait connu. Elle a fui le Vietnam comme des centaines de milliers de personnes l’ont fait entre les années 1970 et 1990, dans le cadre d’une importante vague de migration qu’on a appelé la crise des Boat-people. Leurs bateaux étaient petits et surchargés et les passagers vivaient dans la crainte constante de la famine, du naufrage, des pirates… Quand ma mère est arrivée en Malaisie, elle a retrouvé mon oncle (qui avait fait le même périple avant elle) a rencontré mon père et, quelques temps plus tard, m’a donné naissance.

À cette époque, mes parents ont connu des moments très difficiles alors qu’ils cherchaient à s’établir dans des pays plus développés. Ils ont été séparés pendant un an et demi quand ma mère et moi avons gagné le Canada. Je n’étais alors qu’un bébé de six mois. Ma mère a travaillé de jour comme de nuit pour subvenir à nos besoins et pour amasser les fonds nécessaires afin de parrainer mon père et de lui permettre de nous rejoindre au Canada.

Mes parents immigrants ne voulaient pas que leur enfant connaisse les mêmes difficultés que celles qu’ils avaient éprouvées, aussi m’ont-ils activement encouragée à suivre un parcours plus traditionnel et plus « sécuritaire » : me concentrer sur mes études avec l’espoir que cela mène à une carrière stable. Malgré cet encouragement, ils ne m’ont jamais dissuadée d’entreprendre des activités créatives. Quand j’ai voulu apprendre à jouer du piano et du violon, ils ont trouvé le moyen d’intégrer des cours de musique au budget familial. Quand je me suis intéressée à la photographie, ils m’ont offert un appareil-photo comme cadeau d’anniversaire. Quand je me suis ensuite passionnée pour la couture et la conception de vêtements, ils m’ont aidée à acheter une machine à coudre. Tant que j’accordais la priorité à mes études, ils étaient ravis de savoir que je prenais également des cours de couture au secondaire.

Une fois mes études secondaires terminées, quand vint le temps de choisir un programme d’étude post-secondaire, je savais que je voulais étudier la mode et le design. Mes parents n’ont jamais eu la chance de faire des études supérieures – j’étais la première de la famille à pouvoir aller à l’université. Ils voulaient toujours m’encourager mais naturellement, mes parents avaient des réserves. Notamment parce que j’allais devoir déménager ailleurs au Canada et parce que mon choix était fort différent de celui qu’ils avaient en tête. Après tout, quel genre d’emploi pouvait-on trouver dans l’industrie de la mode, à part celui évident de designer de mode ? Mais j’étais bien déterminée. Alors j’ai fait mes valises et j’ai déménagé à l’autre bout du pays pour fréquenter une école de mode.

Pendant mon baccalauréat, je travaillais à temps partiel comme professeur de couture dans une école de Toronto. Ma mère travaillait activement pour me soutenir, même si elle n’était pas convaincue par mon choix de carrière. À ce stade de sa vie, elle avait obtenu son diplôme d’études secondaires, occupé plusieurs emplois comme femme de chambre en milieu hôtelier et ouvrière à l’usine, puis travaillé comme serveuse dans un restaurant avant de devenir esthéticienne et d’ouvrir son propre salon de manucure. Dès que j’ai obtenu mon diplôme, j’ai trouvé un emploi pour une marque locale de vêtements pour enfants. C’est là que j’ai développé mon talent de couturière tout en continuant à travailler comme professeure de couture la fin de semaine.

Comme si un emploi à temps plein et un autre à temps partiel ne suffisaient pas, j’ai mis en ligne, durant mes temps libres, mon propre blogue portant sur la beauté et sur la mode. Au début, il s’agissait d’un exutoire créatif qui me permettait d’entretenir mes passions pour la photographie et l’écriture, mais c’est finalement devenu un troisième emploi. Je me réveillais tôt le matin pour éditer des photos et écrire des articles et je faisais la même chose le soir à mon retour du travail. Quand mon blogue a commencé à générer plus de trafic, je me suis mise à assister à des événements et à développer mon réseau. Ce faisant, j’en apprenais davantage sur les mondes du marketing et de la publicité. Et je me suis retrouvée à faire la même chose que mes parents, qui avaient occupé simultanément plusieurs emplois à leur arrivée au Canada.

Un problème important (même si c’était une bénédiction déguisée) est survenu dans ma vie moins de deux ans après que j’aie complété mon baccalauréat. Le fabricant de vêtements pour lequel je travaillais faisait faillite. Même si je travaillais toujours à temps partiel et que j’avais encore mon blogue, je ne savais pas du tout ce que j’allais faire. J’avais l’impression d’avoir échoué – un sentiment que beaucoup d’enfants d’immigrants ne connaissent que trop bien. Je me suis dit : « J’aurais dû écouter mes parents. » Après tout, mes parents avaient travaillé jour et nuit quand ils s’étaient retrouvés au Canada, pour soutenir leurs familles restées au Vietnam. Comme beaucoup d’immigrants, ils n’avaient pas de filet de sécurité pour les protéger en cas de crise. Mes parents avaient l’habitude de faire des heures supplémentaires et devaient redoubler d’effort pour compenser leurs difficultés à parler l’anglais. Ils ont économisé le moindre sou pour acheter leur première maison et parrainer la famille de ma mère, ainsi que pour offrir une vie confortable à leurs enfants. Ils avaient travaillé si fort pour m’offrir une vie où je n’aurais pas à m’en faire et moi, de mon côté, j’allais perdre mon emploi d’une semaine à l’autre.

Quand mes parents sont arrivés au Canada, ils ont saisi toutes les occasions qui se sont présentées à eux et n’ont jamais dit non. Ils savaient que rien ne leur serait donné dans ce pays majoritairement blanc et ils ne pensaient qu’à travailler et à survivre. J’ai été le témoin direct de leurs efforts, aussi quand l’occasion s’est présentée de reprendre le côté manufacturier de la compagnie pour laquelle je travaillais, j’ai décidé de tenter le coup. Quand l’entreprise a fermé ses portes, j’ai déménagé tout ce dont j’avais besoin dans mon condo de 500 pieds carrés et j’ai ouvert Freon Collective. Je travaillais maintenant à mon compte et je me lançais en affaires sans avoir de formation particulière.

Au début, Freon Collective était une compagnie de production à petite échelle. Je travaillais avec d’autres entreprises pour coudre leurs produits, produire des motifs, concevoir des échantillons, etc. Après quelques mois, j’ai lancé la marque maison de Freon Collective. J’ai produit quelques ensembles de lingettes démaquillantes en coton réutilisables, ouvert une boutique Esty et ai été complètement soufflée quand ils se sont envolés en quelques heures seulement.

Les collègues que j’avais rencontré dans le monde des blogues ont été incroyablement encourageants et ils ont joué un rôle essentiel dans la croissance de Freon Collective au cours de ces premiers mois. Rapidement, je me suis retrouvée en train de prendre des photos de produits le jour et de les éditer la nuit. Je cousais tous les jours, j’expédiais des commandes, je remplissais le carnet de ventes en gros, je participais à mes premières foires locales. On peut dire que toutes les activités créatives de mon enfance (photographie, écriture, couture, etc.) occupaient à nouveau une place centrale dans ma vie.

Quand j’ai fondé Freon Collective, je ne pouvais pas imaginer que cette marque deviendrait ce qu’elle est aujourd’hui. Soyons honnêtes, c’est difficile d’opérer une entreprise. C’est parfois instable, c’est dix fois plus de travail que ce que tout le monde pense et c’est vous – vous seule – qui êtes responsable de toutes les décisions. Mais même si je me suis sentie souvent débordée depuis que j’ai lancé ma petite entreprise, je sais que c’est ce que j’étais destinée à faire, de toutes façons.

Quand je repense au Mois de l’héritage asiatique, je peux voir des parallèles entre la vie de ma mère et la mienne. Quand nous avions toutes les deux 18 ans, nous avons quitté notre famille et notre ville natale. Nous avons travaillé, fait des études et fini par fonder notre entreprise. Ma mère a travaillé pour soutenir sa famille et avec les années, je me rends compte que je veux continuer à travailler à la réalisation du rêve canadien de mes parents. Je veux rendre mes parents fiers et je veux qu’ils sachent que tout ce qu’ils ont fait pour venir au Canada et y construire leur vie n’aura pas été en vain.

Si vous voulez en savoir plus sur le Mois de l’héritage asiatique et sur les Boat-people vietnamiens, veuillez visiter les sites suivants :

À propos de l’autrice : 

Nancy Mac est la propriétaire de Freon Collective, une marque lifestyle écologique établie à Toronto. Elle est passionnée par le design, la durabilité et le soutien aux entreprises locales. Ses produits ont été mis en vedette dans plusieurs publications comme Châtelaine, Buzzfeed et Who What Wear.

Pour en savoir plus sur Nancy et Freon Collective visitez les sites freoncollective.ca et @freoncollective